Les livres qu’on déteste nous apprennent aussi à écrire
Les livres qu’on déteste nous apprennent aussi à écrire

Les livres qu’on déteste nous apprennent aussi à écrire

Il y a des auteurs dont je critiquais tout ce que je lisais… avant d’entamer un autre livre d’eux. Sans jamais réussir à apaiser ma faim, je restais insatiable de leur œuvre, insatiable et frustrée. Ce billet ne parle pas d’eux.

Chaque fois qu’un roman ne me plaît pas, je sais que je peux en apprendre quelque chose. C’est en aiguisant son esprit critique qu’on affûte sa plume… Voilà trois livres que je ne relirai probablement pas, et les leçons que j’ai décidé d’en tirer. 

No rage contre ces romans : je ne suis qu’amour !

Ce n’est pas parce que je me suis ennuyée ou que j’ai été frustrée lors d’une lecture qu’elle ne vaut rien. Au contraire : chacun trouve dans un livre quelque chose de différent. Critiquer et dire du mal, c’est le plus facile, alors ce n’est pas ce que je compte faire ici. Je pourrais dire que ces romans n’étaient pas pour moi… Et pourtant je pense que si, parce qu’ils ne m’ont pas laissée indifférente. Même si l’émotion que j’en ai tirée était négative, je peux en apprendre quelque chose.

J’ai toujours été très timide avec mon écriture, et même fragile. Pour moi, un compliment a énormément de valeur, et une critique, ça se prend au sérieux… parfois, trop. J’ai pris confiance en écriture grâce aux encouragements de mes amis en ligne, mais j’ai progressé grâce à leurs critiques. Et puis, un jour, il a fallu que j’apprenne aussi à ne pas toutes les écouter, à faire le tri. C’est comme ça qu’on trouve sa voix, sa plume : faites-vous confiance, et repérez ce qui vous aide vraiment à vous améliorer.

Quand j’étais en sixième, mon prof d’arts plastiques refusait qu’on utilise une gomme en cours. Il disait qu’on ne faisait pas d’erreurs en dessinant. Et si on avait tracé quelque chose qui ne nous plaisait pas, c’était à nous de nous y adapter… La sixième, c’est loin, mais je me rappelle de cette philosophie et je raconte souvent cette histoire. Pour me rappeler de ne pas toujours fuir ce qui est désagréable, de ne pas taire les émotions négatives, de ne pas oublier les mauvais souvenirs. Ils sont là pour une raison.

Alors, une bonne fois pour toutes : si vous avez écrit les livres dont je parle (et que vous me lisez d’au-delà la mort ou que vous comprenez le français contre toute attente…), merci de les avoir mis sur ma route. Si vous avez aimé ces livres et que trouvez mon analyse complètement abusée, parlons-en en commentaires ! Et si vous pensez ne rien avoir à apprendre d’un roman mal-aimé, continuez à lire…

Parfois une idée excellente vaut 50 pages… mais pas 500 (Ainsi parla Zarathoustra)

J’avais de nombreuses raisons de me plonger enfin dans Nietzsche. La première : l’idée du nihilisme me fascinait depuis mes cours de philo de terminale. La deuxième : les trois métamorphoses, du chameau au lion puis à l’enfant, viennent de ce livre. Cette parabole, que j’ai découverte en lisant la Horde du Contrevent, m’a énormément inspirée et influencée dans ma vie de jeune adulte. La dernière : ce livre, en fait, je l’ai trouvé dans un bus. Comme si on l’avait posé sur ma route.

Non, ce n’est pas un roman, mais c’est présenté (et se déguste) comme un conte philosophique. Zarathoustra a passé dix ans dans la montagne et sent un jour le besoin de partager sa sagesse. Il rejoint le monde et répand ses réflexions au fil de ses rencontres. Évidemment, il y a bien plus à en dire que ce que je raconterai ici, parce que ma culture philosophique est très basique. Je parle donc en tant que lectrice naïve, peu philosophe, mais ouverte à de grands chamboulements mentaux.

Les premières paraboles de ce livre m’ont enchantée. Dieu est mort, oui ! Zarathoustra parle inlassablement du déclin. « J’aime celui dont l’âme déborde au point qu’il s’oublie lui-même, et que toutes choses soient en lui : ainsi toutes choses deviendront son déclin. » Il faut aller au-delà de la mort de Dieu, accepter son propre déclin, pour passer à l’étape suivante.

Pendant ces premiers chapitres, j’ai lu d’accepter ses erreurs, que chaque souffrance a un enseignement, qu’avoir peur de la douleur empêche de progresser. Cette année-là, je faisais la paix avec une grande colère en moi. J’avais beaucoup de culpabilité à surmonter, des expériences douloureuses à revivre. Ce discours m’a paru précieux, nourrissant, suffisamment fort pour que je puisse me pardonner.

Si je n’ai pas aimé Ainsi parla Zarathoustra, c’est parce qu’après ces premières pages, plus rien n’a autant retenu mon attention. J’avais l’impression d’avoir tiré tout ce qui m’était destiné dans le livre, mais que Nietzsche me le répétait sous toutes les formes possibles, comme si je n’avais pas compris la première fois ! Quand je me suis imaginée ce grand philosophe érudit écrire chaque partie en 10 jours (un rythme de Nano, quoi), et en lisant sur une note de bas de page qu’il avait bâclé la fin, j’ai levé les yeux au ciel et je suis passée en mode lecture en diagonale.

De ce livre, j’ai donc appris qu’une bonne idée était bien plus savoureuse quand elle était courte. Il faut moins en dire, pour faire plus réfléchir. Faire réduire son bouillon à une sauce puissante et savoureuse…

La preuve en est, pour moi, dans les livres de la collection Petite poche, chez Thierry Magnier. Ces quelques pages, des livres de la taille d’une nouvelle, j’en raffole. Parce qu’ils se croquent en cinq minutes. Parce qu’ils sont émouvants, drôles et inattendus. Et parce que, si petits qu’ils soient, ils ont un vrai pouvoir de livre : vous accompagner après que vous les aurez fermés…

Écrire, c’est comme apprendre à jongler (Boys don’t cry)

La plupart des gens qui apprennent à jongler vont faire la figure de la « douche » (gif). C’est vrai qu’avec deux balles, c’est plus facile : elles se lancent chacune leur tour sur la même trajectoire. Mais pour progresser, il faut passer par la « cascade » (gif). C’est plus difficile à réaliser, moins instinctif, et pourtant, c’est le seul moyen d’apprendre à jongler avec trois balles.

photo of opened book

Vous voyez le rapport avec l’écriture ? Non ? Je m’explique.

Dans Boys don’t cry, Malorie Blackman jongle avec les histoires de deux personnages. Dante, 17 ans, apprend qu’il est père d’une petite fille, Emma. Le même jour, la mère de Emma disparaît et le laisse seul face à ses responsabilités. Adam, 16 ans, son frère, essaie de trouver sa place dans un lycée ouvertement homophobe qui ne veut pas le laisser exister. Ce dont deux sujets essentiels, et deux sujets que j’étais ravie de voir dans un roman jeunesse. Oui, mais…

Les chapitres de Boys don’t cry sont fascinants et ils se dévorent un à un. En revanche, ils se mélangent plutôt mal entre eux. Pour tout dire, j’ai même trouvé que le roman aurait été plus dynamique sans les chapitres racontés par Adam. Que son histoire à lui méritait un roman à part. Alterner les points de vue a créé, à mes yeux, une sensation de répétition, plutôt qu’agrandir mon horizon de lectrice. Comme regarder deux balles faire, l’une après l’autre, le même cycle, la même figure.

Tout est une affaire d’équilibre. Cet équilibre, pour moi, Mickaël Ollivier l’a trouvé quand il a écrit Tout doit disparaître. À onze ans, Hugo quitte la métropole pour Mayotte, où ses parents enseignants ont été mutés. Ce déménagement est un choc, mais pas autant que son retour dans le Nord, plusieurs années plus tard. Adolescent, il rejette profondément la société de consommation qu’il avait appris à oublier. Premier amour, sexualité, dépaysement, racisme systémique, angoisse climatique, révolte sociale y sont abordés avec équilibre. Le schéma de leur apparition n’est pas visible au premier coup d’oeil – comme une simple figure de jongle qui prend un air de magie pour le spectateur.

De ces deux romans, j’apprends que ce n’est pas qu’une question de découpage. Tout doit disparaître est séparé nettement en deux parties, mais elles n’agissent pas comme des barrières qui séparent des thèmes difficiles. Et finalement, la lecture se retrouve à l’image de la vie : tout arrive et revient sans qu’on s’y attende, sans qu’on y soit prêt. En écriture aussi, laissons la vie s’immiscer d’un chapitre à l’autre, et n’essayons pas de l’en empêcher.

Jetez du sable dans les engrenages (La Rose du Hudson Queen)

Ce roman a une place spéciale dans mon coeur : c’est le tome 2 de Sally Jones. J’ai dévoré la première de ses histoires, venue tout droit de Suède en bateau à vapeur. Dans ses romans, Jakob Wegelius donne sa plume à Sally Jones, une gorille mécanicienne. Après l’arrestation du capitaine de son bateau, le Chef, Sally Jones entreprend un incroyable voyage pour prouver son innocence.

Le premier de ces livres, je vous le recommande chaudement. Il m’a chassée de ma zone de confort, à grandes rafales d’un vent de liberté. Un auteur européen, un personnage principal qui n’est pas humain, une aventure extraordinaire sans avoir recours à un monde imaginaire… Il se dévore. Bien sûr, le deuxième livre, lui aussi, donne au lecteur ce qu’il est venu chercher. Mais l’intrigue m’a semblé plus linéaire. J’en étais là de mon enthousiasme mal ravivé, quand une scène m’a aidée à mettre le doigt sur ce qui m’ennuyait.

Dans sa quête pour retrouver le propriétaire d’un mystérieux collier, Sally Jones rencontre (… Whatsername). Elle lui raconte toute l’histoire de Shetland Jack, et son récit se déroule, comme une machine aux engrenages bien huilés. Un paragraphe, puis (Whatsername) tire une inspiration de sa pipe. Un autre paragraphe, et elle tend des biscuits à son invitée. Un paragraphe de même taille, et elle se lève pour regarder par la fenêtre. Le rythme de métronome imprimé à cette scène illustre, pour moi, le souci de ce roman. Une plume trop maîtrisée laisse voir ses mécanismes.

Je me dis qu’il faut toujours chercher à aller plus loin que ce dont on a l’habitude, au risque de devenir prévisible. Jean-Claude Mourlevat, depuis que je l’ai redécouvert, ne cesse de me surprendre. Le chagrin du roi mort alterne les structures narratives comme un costume d’Arlequin. Est-ce qu’on peut raconter de la même façon un souvenir, un assassinat, une errance de sept ans, la guerre, un coup de foudre, une vision de l’avenir, un accouchement clandestin, la barrière entre deux langues, le conte d’une vieille sorcière, et l’odeur d’une tartine au petit-déjeuner ? Non, on ne peut pas. Et s’il faut changer de plume pour changer d’histoire, l’auteur le fait – tout ça, dans le même roman.

On ne peut pas aimer tous les livres – mais ils ont quand même leur place dans votre esprit, dans vos souvenirs. Si vous n’appréciez pas un roman, ne vous forcez pas à le finir. Mais posez-vous cette question : pourquoi pas celui-là ? Qu’est-ce que ce petit détour m’a appris ?

Je suis curieuse de connaître votre expérience. N’hésitez pas à la partager : écrivons ensemble.

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