
Vous avez suivi ? Le budget Pass Culture alloué aux établissements leur permet de réserver des activités culturelles pour les élèves. On parle de sorties au théâtre, au musée, ou encore d’interventions en classe par des auteurs et autrices. Par exemple, c’est grâce au Pass Culture que j’ai rencontré près de 450 élèves dans 8 établissements différents, ces deux dernières années. On a fait des ateliers d’écriture, des questions-réponses. On a apporté le livre, et l’autrice, devant 450 jeunes : il y en a qui écrivent, il y en a qui n’osent même pas lire de « gros » romans.
Quand le monde fout le camp je me dis « mais bon, au moins, en rencontrant régulièrement des jeunes à qui je parle de tolérance, je fais ma part ». Accessoirement, c’est aussi grâce à ces rencontres entre autres que j’ai une certaine stabilité financière.
Et donc, la semaine dernière, le Ministère a dit : « OUPS ! L’argent qu’on vous avait alloué, vous l’avez dépensé. C’était pas prévu. Ben du coup, on arrête de vous en donner ».
Pour un meilleur résumé, je vous invite à lire ce communiqué de la Charte des auteurices et illustrateurices jeunesse.
D’autres que moi ont aussi trouvé les mots pour mieux expliquer qu’au final, dans tout ça, c’est les ados qui trinquent. Je mets en bas de cet article le post Instagram d’Hélène Vignal à ce sujet.
Perso, je me suis dit que j’allais plutôt vous raconter des moments irremplaçables en interventions scolaires. Bienvenue dans la partie que je préfère dans mon travail. Et même sans Pass Culture, vous pouvez toujours m’inviter…
Pendant les interventions scolaires, on parle aussi à celleux qui ont peur des livres
La lecture, c’est pas gagné pour tout le monde. Il y en a pour qui ça veut dire poussière, migraine, lettres qui dansent sous les deux, histoires incompréhensibles, ennui, solitude. Des mauvais souvenirs d’école, et cette image renvoyée que « si tu lisais des livres tu ferais moins de fautes » ou « si tu ne lis pas c’est que tu es bête ».
C’est un cercle vicieux et il y a des jeunes (et pas que les jeunes ! Adultes je vous vois) que les livres intimident beaucoup. Moi j’adore pouvoir leur dire que la littérature c’est pour tout le monde, qu’il y a des livres qui existent pour eux. Que les paroles d’Aya Nakamura, c’est aussi de la littérature (ces allitératioooons). « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ? » et « J’suis gang, hors-game, boy, ne joue pas, bang, bang, bang » même combat.
Les élèves ont des trucs à écrire et vous êtes pas prêt.e.s à les lire
Je pense à L., en cinquième, qui a su transformer le destin d’un personnage amateur de foot en vraie épopée.
À cette sixième dont les personnages, uniquement des filles, ont construit une communauté dans la forêt, défendues par des loups qui dévoraient violemment tous les garçons voulant leur faire du mal.
À ce jeune qui, en décrivant un jardin, faisait la métaphore de l’isolement social, de la peur d’être soi devant les autres.
À la nouvelle collaborative qu’on a écrit avec toute une classe de première et qui nous a fait pleurer de rire.
Aux secondes, avant-hier, qui écrivaient des discours pour la paix, pour dénoncer les féminicides et les violences conjugales, pour sensibiliser aux TCA, pour revaloriser le travail des infirmier.e.s.
Elle devient quoi, notre culture, si personne ne les autorise à en faire partie ?
Une des questions qu’on me pose le plus souvent, c’est : « vous faisiez des fautes à l’école ? ». On me demande aussi si on peut devenir auteur quand on est dyslexique. Si on peut devenir auteur alors qu’on n’est pas bon en français, ou qu’on ne lit pas beaucoup.
La réponse est oui, évidemment que oui ! On parle de ligne éditoriale, on explique l’envoi de manuscrits. Et ça leur rend concret un processus qui est très obscur pour beaucoup de personnes. Quand je leur parle du travail éditorial, iels comprennent aussi que le monde du livre, ce n’est pas seulement les écrire. Les métiers du livre sont nombreux et ils nous sont précieux. Si on arrête de les montrer aux jeunes, comment est-ce qu’ils pourraient les envisager ?
Main dans la main avec les enseignant.e.s
Auteurices, on se greffe aussi sur des projets d’enseignants et d’enseignantes. J’ai pu parler de santé mentale dans la littérature à des élèves en filière santé et sociale. J’ai accompagné l’écriture de discours engagés, en aidant l’inspiration des élèves et leur style, tandis que l’enseignante les aidait sur les éléments au programme. J’ai mené des ateliers d’écriture auprès d’une classe de STI2D grâce à une enseignante qui a choisi Les Filles du Nord pour leur lecture cursive au baccalauréat.
Quand on donne aux profs les moyens de faire vivre la culture, on leur permet de faire le lien entre le programme et la vraie vie. Grosse trahison, aussi, pour ces enseignant.e.s qui montent des projets depuis des mois (sur du temps libre hein !) et se les voient annulés.
Mais bon, comme les ados ne lisent plus…
En interventions scolaires, on parle aussi de dark romance et on peut échanger sur ce que c’est, pourquoi c’est OK qu’un tel genre existe, pourquoi ça ne veut pas dire qu’il est adapté à 15 ans pour autant. On échange des tips : comment lire quand on n’arrive pas à se concentrer ? (Essayez le livre audio en marchant et dites-m’en des nouvelles). On se donne des recommandations : c’est quoi votre livre préféré ? Quel roman du CDI est sous-coté et devrait absolument être lu ? Je leur raconte pourquoi mon dernier roman parle de jeux vidéo, pourquoi mes livres sont engagés, et pourquoi je suis heureuse d’écrire pour les ados avant tout.
Bref, on fait vivre la culture. Ceux qui trinquent le plus dans cette histoire, c’est ceux qu’on a privés de tout ça. Comment on continue à intéresser les jeunes à la culture ? Nous, on trouvera un moyen de continuer. Et vous ?


Comme promis, le post d’Hélène Vignal ci-dessous.