J’avais prévu d’écrire cet article lundi, mais finalement, j’ai préféré lire le livre que j’ai emprunté à une amie il y a six ans. On est mardi à l’heure où j’écris ces lignes, mais je regarde des vidéos sur Youtube, document ouvert, en réfléchissant à la façon dont je veux prendre ce problème. Bref : j’ai une tendance à la procrastination.
La procrastination, c’est pas juste avoir la flemme
« Ne révisez pas dans le couloir cinq minutes avant le contrôle, ça ne sert à rien » : ça, c’est ce que disent tous les profs de collège et de lycée. C’est même ce que je me suis mise à dire, par imitation, et parce que visiblement, si tout le monde le disait, ce devait être vrai. Pourtant, réviser dans le couloir juste avant d’aller en contrôle, c’est ce que je faisais, et ce qui m’a plusieurs fois sauvé les miches.
Pendant ma scolarité, j’ai aussi pris l’habitude de ne commencer mes dissertations que la veille au soir. Ou encore de ranger ma chambre avant de faire mes devoirs, faire une fournée de madeleines avant de passer un coup de téléphone, regarder soudain le DVD que j’avais emprunté des mois plus tôt au lieu d’aller à la poste… Bref, je n’avais pas de mot pour cela, mais ce que je pratiquais activement, c’était la procrastination.
Jamais seuls dans la procrastination
En France, le terme de « procrastination » a eu un pic de recherches sur Google en mars 2010, et à nouveau au courant de l’année 2020. (Oui, j’ai cherché ce graphique au lieu de continuer l’écriture de mon article). Personnellement, je pense que j’en ai entendu parler au début des années 2000, avec la traduction d’un tome des Annales du Disque-Monde (amusant : le titre original, Thief of Time, a été traduit Procrastination). Et que j’ai été très surprise dix ans plus tard quand j’ai lu Albertine disparue, de Proust, et que j’y ai vu ce même terme de procrastination…
Le mot « procrastination » vient du latin et veut simplement dire « remettre à plus tard ». C’est le fait de repousser ce que l’on a à faire, continuellement. On en est tous un peu coupables, au moins une fois de temps en temps… Qui ne s’est jamais dit « ok, mais je vais ranger mon bureau avant de travailler » ? Sauf que certains procrastinent plus que d’autres, et que parfois, ça en devient presque maladif. Quand on n’arrive plus à rien commencer, qu’on ne fait les choses que par stress et jamais par envie, c’est pas terrible pour le moral…
Une histoire que je partageais cette semaine sur Instagram, c’est ce « Writing Manuscript Café » qui a ouvert au Japon récemment. Vous n’y entrez que si vous avez un manuscrit à écrire. Vous annoncez votre objectif au manager, et ensuite, vous n’avez pas le droit de payer (ni de sortir, donc) tant que vous ne l’avez pas atteint. Bonus : le café facture selon le temps que vous y passez, et le manager vient vous voir toutes les heures pour demander où vous en êtes…
Ce concept fait le tour d’internet en ce moment et plein de monde (moi y compris) dit « à quand la même chez nous ? ». Si on est plusieurs à se dire qu’on attend d’être séquestrés pour pouvoir nous mettre enfin à bosser… C’est que la procrastination est plutôt répandue.
On m’a beaucoup menti au sujet de la procrastination
Bref, sur internet, avec des memes, des courts-métrages qu’on s’envoie justement pour ne pas réviser les partiels, c’est rigolo. Jusqu’au jour où ce n’est plus qu’une question d’études et de révisions, et où on réalise qu’en fait, on n’arrive pas à s’en débarrasser, de la procrastination. Repousser à plus tard des révisions, d’accord : au pire, le partiel arrive, on le plante, et on passe à la suite.
Mais quand on repousse à plus tard un projet qui nous tient à cœur ? Écrire un roman, changer de boulot, changer de pays, entreprendre un voyage, repeindre une pièce, se mettre à coudre des propres vêtements ?
Et c’est là qu’intervient le plus gros mensonge qu’on m’avait fait : celui selon lequel si je procrastinais, c’était par flemme. « Si tu veux éviter la procrastination, il faut juste que tu t’organises mieux. Que tu cesses de prendre les choses à la légère. »
Le plus gros bobard de toute cette histoire, c’était la notion selon laquelle j’aurais plus de potentiel si j’arrivais à me débarrasser de ma procrastination.
Procrastination : le pouvoir de la deadline
Alors j’ai appris à m’organiser. La date limite – ou deadline – a le pouvoir magique de motiver, donc je m’en suis servie. Incapable de commencer quoi que ce soit sans être sous pression, j’ai commencé à travailler, écrire, bref, tout faire, uniquement avec des délais restreints, parce que seule la pression de ne pas avoir le temps de finir réussissait à me bouger.
Je me suis mise aux to-do lists. Je me suis inscrite sur Habitica pour transformer mes tentatives en RPG. J’ai développé le complexe de : « j’ai du potentiel et je le gâche » et, comme si je nageais à contre-courant, j’ai développé toutes les stratégies possibles et imaginables pour contrer ma façon de fonctionner.
Bref, tout ce que je faisais, je le faisais sous pression. Et des années plus tard, surprise : la procrastination était toujours là. Elle avait ramené ses copines, la honte de ne pas réussir à s’organiser, et la culpabilité de ne pas faire tout ce que mon fameux « potentiel » me destinait à faire.
Fais les choses à ta façon, pas à celle des autres
Je vous la fais courte et je vous passe les nombreux et nombreuses personnes que j’ai suivies sur Youtube, Instagram et autres et qui, visiblement, fonctionnent un peu comme moi. En plus, j’ai suffisamment procrastiné ces dernières années pour en passer, du temps, sur Youtube, oui, oui.
Finalement, le conseil qui me correspond le plus dans toutes ces velléités d’organisation, de productivité et de rentabilité, c’est celui-ci : « Accept your brain, it’s beautiful« .
Dès le collège, je me suis mise à procrastiner – et à l’époque, je n’avais pas franchement grand-chose à faire dans la vie à part l’école, lol. Personnellement, ça me prouve bien que ce n’est pas une habitude acquise, mais un vrai mode de fonctionnement, une réponse stratégique.
Si je fais confiance à mon cerveau et que j’accepte la procrastination, je ne m’ennuie jamais. Accepter que « avant l’heure, c’est pas l’heure » quand j’ai quelque chose à faire, et m’autoriser à partir sur les circonvolutions d’activités que mon cerveau me pousse à faire plutôt que ce que je « devrais faire », c’est vraiment fun.
Comment j’ai hacké la procrastination en écrivant Citron
J’ai gardé quelques garde-fous : je n’ai évidemment pas tout résolu. Le plus important, pour moi, c’est de trouver un équilibre qui me correspond. Plutôt que les compromis, je préfère la stratégie. Je m’impose toujours des deadlines dans mes projets, qu’ils soient professionnels ou personnels. Mais au lieu d’une barrière rouge et menaçante, j’en fais une ligne indicative, encourageante, un objectif, un but. Pour mieux me représenter le temps qui passe, j’utilise un bullet journal. Pour faire de la « procrastination utile », j’ai tout un tas de tâches que je ne fais que par procrastination – et pour moi, ça fonctionne.
Comme je le raconte ici, j’ai mis en place une technique assez particulière pour écrire mon roman, Citron. Je m’étais imposé de le commencer et de le finir au mois de novembre (30 jours, donc) et ce, en ne l’écrivant que les jours pairs (15 jours, donc). Les jours impairs, j’écrivais un autre roman (son dark side, d’ailleurs). Chaque jour, je n’étais pas tant en train d’écrire le roman face A… que de procrastiner le roman face B ! Et vice-versa. C’était fatigant, mais très intéressant.
Bref, je ne pars plus d’une façon préconçue de faire les choses, ni sur le fait que « la procrastination, c’est mal ». Elle est là de toute façon : plutôt que la forcer à prendre un autre chemin, je m’applique à l’accueillir sur le mien. Alors que ce soit pour rédiger mes articles de blog, pour faire le contenu de mes réseaux sociaux, ou écrire un roman sans avoir fait de plan, je suis mon instinct !
Et vous ?