#wheniwas15
Je dédie cet article de blog à Florence. Bisous !
Rappel des événements : Bien trop petit, le livre censuré
C’est une info de la semaine dernière qui retentit de plus en plus loin. Bien trop petit, un roman de Manu Causse publié aux éditions Thierry Magnier dans la collection l’Ardeur (comme Citron) a été interdit de vente aux mineurs. La décision est scellée par un arrêté du 17 juillet et signée par le Ministre de l’Intérieur… (cela dit, on n’avait pas besoin de cela pour l’honnir).
Pourquoi l’interdire aux mineurs ? L’arrêté ministériel invoque les scènes « pornographiques » présentes dans le livre. Toute publication pour la jeunesse est soumise à une loi de 1949 (vous avez bien lu), qui prévoit le passage en Commission des livres qui ne la respecteraient pas. Bref, la Commission semble avoir confondu pastiche et porno.
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Pour comprendre plus en détail ce qu’il se passe et pourquoi c’est important, je vous conseille vivement de lire le communiqué officiel des éditions Thierry Magnier, mais aussi cette interview de Charline Vanderpoorte (éditrice) auprès de Bookalicious, de visionner cette interview de Thierry Magnier chez TV5 monde, et enfin le dossier et billet d’humeur de ScyFantasy est lui aussi très intéressant.
La réponse du monde littéraire et le #wheniwas15
L’hypocrisie est criante. Le roman interdit (en plus d’être une œuvre littéraire hilarante) déconstruit la masculinité toxique, la culture du viol. À côté, les mineurs qui regardent du porno, il y en a de plus en plus (étude Arcom) et ce n’est pas une bonne nouvelle (la plupart des sites pour adultes ne sont pas livrés avec un discours d’éducation au consentement et de déconstruction du sexisme, eux).
Niveau livres, rien n’empêche les enfants d’acheter et de lire des romans aux scènes très explicites, qui, eux, ne sont pas classés en jeunesse. Petit aperçu dystopique de la suite du toboggan de la censure littéraire : aux USA des romans sont retirés des bibliothèques scolaires sous prétexte qu’ils abordent des thèmes LGBTQ+…
Bref, c’est aussi pour ça que j’écris pour les ados, comme je le disais encore la semaine dernière. Et je ne suis pas la seule à la dire : les témoignages de libraires, bibliothécaires, profs et auteurices affluent en réponse à cette décision.
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Mais la réponse la plus belle à mes yeux a été lancée par Nicolas Mathieu. (On m’a grave recommandé son roman Connemara, soit dit en passant). Avec le hashtag #wheniwas15 (quand j’avais 15 ans) il nous invite tous.te.s à évoquer nos 15 ans, âge auquel le roman Bien trop petit est maintenant interdit à l’achat.
« Nous devrions toutes et tous ensevelir le ministre sous un déluge de nos histoires de cul. Je vais lui en donner une en espérant faire quelques émules. ça l’apprendra. »
Nicolas Mathieu
Allez explorer ce hashtag sur Instagram, il vaut le coup. Comme Nicolas Mathieu l’a si bien dit, « depuis dix jours, toute la France a 15 ans »… Les textes sont poétiques, touchants, drôles, empathiques, terrifiants. Oui, les mineurs ont besoin d’être protégés, mais le danger, c’est pas ces livres.
#wheniwas15
Comme le narrateur de Bien Trop Petit et comme la génération fanfics, je cherchais (et trouvais) ma littérature érotique sur internet.
Quand j’avais 15 ans, j’avais pas lu l’Alchimiste, mais Onze minutes, de Paulo Coelho, trouvé (bien entendu) dans la bibliothèque maternelle. Un roman où je lisais enfin les scènes que je cherchais, mais où le personnage principal n’existait que par son ultra-féminité, son hypersexualité, où les relations n’étaient qu’hétéronormées. Et même si j’avais pas les mots pour le voir, ça m’ennuyait déjà à crever.
Quand j’avais 15 ans, les seules représentations fictionnelles de femmes à l’aise avec leur sexualité que j’avais vues étaient celles des travailleuses du sexe, dans Onze Minutes ou dans la série Matrioshki. Mais j’adorais cette série.
Quand j’avais 15 ans, ma marraine m’a offert un manga, Step up Love Story. C’est, genre, un hentai éducatif. Lui aussi à partir de 15 ans. Les personnages découvrent leur intimité ensemble et communiquent tout du long. C’était vraiment trop cool ; dommage que c’était encore super hétéro.
Quand j’avais 15 ans, pour lire autre chose que des histoires hétéronormées et patriarcales, et parce que j’avais laissé tomber l’idée de trouver des personnages féminins qui n’étaient pas réduits à un statut de trophée, d’objet ou de marchandise, j’allais sur Skyblog lire des fanfictions yaoi. Elles romantisaient les relations violentes ou de manipulation, le grooming et pire encore, mais c’était le seul moyen de sortir de l’hétérosex, et de trouver des persos qui me ressemblent (moi qui n’avais pas d’identification aux persos féminins), alors…
Quand j’avais 15 ans, je me suis relevée à minuit pour enregistrer sur VHS, en cachette, le clip du tube de Placebo, Protège-moi, qui passait sur MCM lors d’une soirée spéciale et bien nocturne. J’apprends aujourd’hui que les paroles françaises ont été traduites par Virginie Despentes. Le réalisateur disait à la radio : « c’est une partouze bisexuelle : pour le tourner on a rassemblé des acteurs et actrices, on a mis des saladiers de capotes à disposition et on les a laissés faire ce qu’ils voulaient ». Le consentement, la protection, et la liberté des corps, ce que je trouvais pas dans les livres.
Quand j’avais 15 ans, je croyais que se toucher c’était mal, et je ne savais pas reconnaître un viol.
C’est pour ça que j’ai écrit Citron,
Que je suis si fière de participer à la collection l’Ardeur,
Et de la défendre aujourd’hui.